Parle-nous de toi. Que faisais-tu avant la guerre et avant de partir pour l’Allemagne ?
J’ai obtenu deux diplômes universitaires : un diplôme en pyschologie clinique de l’Université médicale d’État de Koursk un diplôme en leadership dans la gestion des initiatives citoyennes et sociales de l’Institut de psychanalyse de Moscou.
J’ai quitté la Russie en octobre 2022. Outre les raisons liées à ma sécurité personnelle, je ne pouvais plus m’engager dans l’activisme social.
En Russie, j’ai dirigé pendant neuf ans une ONG qui s’occupait des projets culturels et artistiques. Pendant mon séjour en Russie, on me sollicitait constamment pour participer à des événements et de missions de bénévolat en soutien à la guerre. Je refusais de le faire, ce qui déconcertait et exaspérait ces personnes. Je pense qu’en fin de compte, on m’aurait posé un ultimatum : soit je promouvais la guerre, soit il y aurait des conséquences. De plus, je ne voulais pas piéger les autres. Je me suis donc retiré de l’ONG et je suis parti.
En plus de gérer bénévolement une organisation sociale, j’ai travaillé en tant que psychologue à un hôpital pour vieux anciens combattants, où j’ai effectué des diagnostics neuropsychologiques, des consultations en logothérapie, et aidé les patients à élaborer des stratégies pour sortir de la dépression.
Parle-nous du projet pour lequel tu es bénévole. Pourquoi penses-tu que ce projet est important ?En Allemagne, j’ai créé un nouveau projet axé sur le soutien psychologique gratuit des militants anti-guerre qui ont du émigrer en Allemagne. J’ai même réussi à obtenir une subvention dans le cadre de l’Accélérateur d’initiatives anti-guerre, géré par Freies Russland.
Quel est le but de ce projet ?Mon projet vise à organiser des groupes de soutien psychologique gratuits en ligne et hors ligne pour les personnes déplacées de force. J’aimerais que notre soutien mutuel conduise à une synergie et que nous devenions une communauté capable de générer nos propres idées et initiatives.
Quelles sont tes motivations ?J’ai mon propre objectif : créer des communautés et des écosystèmes capables de résister à l’autocratie. À l’heure actuelle, la Russie mène non seulement une guerre d’agression contre l’Ukraine, mais elle lutte également contre la démocratie et la liberté. Je veux vivre dans un monde libre, c’est pourquoi il est si important pour moi de m’engager dans cette initiative, même de manière bénévole.
La guerre dure depuis près de six mois. Comment ton projet a-t-il évolué ? Ses objectifs et priorités ont-ils changé ? Quels aspects ont gagné ou perdu en pertinence ?La guerre n’a pas modifié mon projet, c’est à cause d’elle qu’il est né.
Cependant, la guerre m’a aussi forcé à émigrer, elle a anéanti tout mon travail visant à unifier les initiatives sociales dans la région et m’a conduit à cesser de participer à tous les projets en Russie. J’ai également réalisé qu’il était inutile de chercher à rester en contact avec les autorités pour pouvoir réaliser des projets indépendants. Il ne sert à rien de faire des projets visant à unifier les communautés locales en Russie actuellement. L’essentiel est d’arrêter la guerre et de permettre à la société de prendre conscience de sa responsabilité. J’ai essayé de rester en Russie aussi longtemps que possible et de m’exprimer contre la guerre de differentes maniéres, en soutenant les valeurs de la démocratie sur différentes plateformes. C’est pourquoi le projet de soutien psychologique pour les personnes déplacées est une initiative que je développe à partir de zéro, dans un nouveau pays avec un fnoctionnement différent des projets sociaux, d’autres façons de négocier avec les partenaires et d’autres critères pour évaluer l’effet social et les résultats.
Quels sont les plans d’avenir pour ton projet et pour toi personnellement ?A l’avenir, le projet devrait non seulement contribuer à soutenir psychologiquement la diaspora, mais aussi promouvoir des actions communes. Jusqu’à présent, cette transition qualitative a été retardée car la négociation avec les organisations et les institutions locales est plus longue et plus difficile (mais aussi plus fiable). Je prévoit notamment une grande réunion communautaire en personne où je lancerai un groupe mastermind.
Quant à moi, je n’ai pas l’intention de retourner en Russie. J’ai passé beaucoup de temps à essayer de sauver cet asile de fous, et je crois avoir accompli mon devoir moral. La situation ne changera pas avant longtemps, mais je suis prêt à aider depuis l’étranger à développer la société civile en Russie, à prendre conscience de notre responsabilité historique et à trouver des moyens efficaces de guérir cette culpabilité grâce à un repentir actif.
Comment fais-tu face au stress psychologique et à l’épuisement professionnel ?Au début, j’ai naturellement subi une forte pression psychologique due au traumatisme de la fuite. Comme pour toute expérience d’autorégulation, la clé est d’être conscient et d’assumer ses choix. Aujourd’hui, je me sens bien sur sur le plan psychologique : j’apprends l’allemand, je voyage, je développe mes perspectives de carrière et je suis engagé dans un mouvement volontaire local. Chaqun a ses propres mécanismes pour faire face au stress, aux traumatismes psychologiques et à l’épuisement professionnel, je ne peux donc pas donner de formule universelle ici, mais je propose des consultations de groupe gratuites dans le cadre de mon projet. Je suis également disponible [directement] (https://t.me/wwings46), les consultations sont gratuites pour toutes les personnes déplacées.
As-tu des moments mémorables à nous raconter, qu’ils soient agréables ou non ?La Russie m’a laissé de nombreux souvenirs. C’est le pays où je suis né, où j’ai grandi, où j’ai étudié, où je me suis fait des amis, où j’ai connu mon premier amour et où j’ai consacré beaucoup de temps au travail social. C’est également le pays où j’ai été confronté à la discrimination, aux menaces des autorités et de leurs complices criminels, aux amendes, aux arrestations et à la détention illégale. Je me souviens d’un moment pendant ma détention. Le chef de la police régionale est venu dans ma cellule parce que les articles sur ma détention parus dans les médias avaient fait de moi une célébrité dans leur centre. Il faut dire que les flics m’avaient intentionnellement placé dans une cellule avec d’anciens meurtriers et des sans-abri pour me donner une leçon. Malgré tout, même en ayant l’air d’un « tendre », j’ai réussi à m’entendre avec eux et il n’y a pas eu de conflit. Quoi qu’il en soit, après un monologue sur Navalny, ce chef m’a dit : « Voilà, tu vois, ce sont tes gens ». Il sous-entendait apparemment que j’avais vécu dans un palais doré et c’était pourquoi je m’agitais avec les idées démocratiques. Mais j’avais grandi entouré de tous ces clochards, voleurs, ivrognes, drogués, meurtiers, dont les rues étaient remplies dans ma jeunesse. Cette phrase m’a fait rire à l’époque, et j’ai réalisé que des gens aussi stupides ne pourraient pas me briser ni me priver de ma liberté, même en me menaçant de détention.
Y a-t-il eu un moment où tu as voulu tout abandonner ? Comment t’es-tu remis de cette situation ?J’ai littéralement tout quitté et je suis parti. En Allemagne, il a d’abord été difficile de m’adapter à la vie quotidienne, donc je n’avais pas le temps de m’engager dans l’activisme social. Cependant, mon collègue Sergueï, qui est également parti en raison de son opposition à la guerre, m’a convaincu de poser ma candidature à un accélérateur d’initiatives anti-guerre. Il n’a cessé de répéter que nous étions dans un pays libre où tout était possible et que tout s’arrangerait. Et c’est ainsi que cela s’est passé. J’aimerais que la Russie devienne un pays où les gens n’ont pas peur d’exprimer leurs idées, de prendre des décisions et de poursuivre leurs ambitions.
Qu’aimerais-tu souhaiter à d’autres bénévoles et activistes ?On dit aujourd’hui que le principal malheur de la Russie est l’incapacité des Russes à s’unir. Ils devraient tous se rassembler pour vaincre le monstre rampant, mais ils n’y parviennent jamais. Il est ironique que les émigrés politiques soient confrontés exactement au même problème. Ce n’est pas seulement en raison de leurs visions du monde differentes qu’ils sont atomisés. Les gens sont simplement préoccupés par leur propre survie, plutôt que par un agenda commun : ils ne participent pas aux manifestations, ne s’engagent pas dans les initiatives anti-guerre et n’initient pas de projets par eux-mêmes. Je souhaite donc exprimer ceci : « Arrêtez de vous détendre et de vous adapter, passez à l’action ! » La meilleure façon de combattre l’apathie est de prendre des mesures concrètes.
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